Dans son jeune âge, il y a bien quarante ans de cela, Dominique Favre, instituteur et poète à ses heures, résidait durant quelques semaines, au printemps ou au temps des foins dans les mayens des Fontanets, proche de Veysonnaz. Il assistait, avec son père Emmanuel, à la messe dominicale dans notre église. A ces occasions il a pu librement observer l'attitude plus ou moins priante des paroissiennes et paroissiens. Au fil des ans, a mûri dans son esprit un poème très évocateur qu'il nous livre gracieusement aujourd'hui.

Un fichu noir brinquebalant
Une robe noire, deuil des ans,
Une bouche sans dent glougloutant des Ave Maria
Un fichu noir marmonnant :
une pieuse icône dans le livre de messe
des grands-parents
des grands-parents
deux racines jointes, un chapelet oscillant,
sourcier d’une foi cachée ...


Odeurs de sacré, d’encens;
Procession de petites vieilles
racornies par les sermons du Révérend !
“Piété, justice, mortifications !”
Maintenant la vie : c’est du passé !
“Piété, justice, mortification !”
Procession de vivantes ombres
se macérant
Procession de tremblements, de rides
Procession d’incompréhensions, de soumissions
Procession d’usure, de renoncements,
de cannes tâtonnant ...


Défilé de petites vieilles
s’écoulant à la queue leu leu
du confessionnal jusqu’aux premiers bancs;
Défilés de seins flétris ...
Elles sont agenouillées
les petites vieilles
qui marmottent à mi-voix :
“Mon dieu, ayez pitié de moi !”
Des petites vieilles toujours aux premiers bancs,
à côté de la sacristie
qui s’ouvre sur le cimetière ! ...

Des premiers bancs jusqu’à la sacristie,
de la sacristie jusqu’aux tombes indifférentes,
des premiers bancs jusque dedans les tombes gourmandes,
il n’y a qu’un pas;
point de polka, de valse ou de vingt ans !
Un pas de sainteté,
comme le répète Monsieur le Curé
Elles ne sont pas comme les vieux,
les vieilles !

Eux
ils sont agglutinés aux derniers bancs,
car ils savent que le meilleur remède contre la sainteté,
c’est un verre de vin blanc !
Ils sont entassés dans les derniers rangs,
rotant, chiquant, sentant la gnôle et le même tabac ...
Ils y étaient déjà à vingt ans, sur ce banc,
au ban de l’Eglise,
de la sainteté,
du Curé !

Ils ont peur de cette sainteté
car elle empeste le formol et les dernières formalités ...
Ils se serrent les coudes - les petits vieux -
tous là,
ils ont toujours vingt ans :
près du bistrot, loin de l’encens ...

Les petites vieilles qui prient aux premiers bancs,
les petits vieux qui comptent leur dernière dent ! ...