Date de naissance : 1925. Vivait avec ses parents pendant la guerre et était l’aînée de trois enfants.

Genevieve sitePendant la guerre vous aidiez aux champs ? « Oh oui, c’est sûr. Je travaillais à la campagne et ça donnait beaucoup de travail. On allait travailler à la campagne, travailler les vignes en bas à Vétroz. On n’avait pas beaucoup de loisirs. On s’occupait du bétail, de la campagne, tout, il fallait encore aller chercher le bois dans la forêt. On n’avait pas de cuisinière. »

Le travail était-il dur ? « Oh oui c’est sûr, on devait travailler beaucoup parce que les hommes étaient aux militaires. Il fallait avoir la nourriture pour l’hiver, faire des réserves pour tout l’hiver et puis manger tous les jours. On n’avait pas les légumes qui venaient depuis dehors. Il fallait avoir son nécessaire même. On avait beaucoup de champs. »

Votre papa a-t-il été mobilisé ? « Non, papa, non, il a pas été mobilisé. On a laissé partir le mulet. Il est resté plus que quatre ans loin le mulet alors il fallait tout porter le foin sur le dos. Des fois, quand c’était plus loin, on demandait le mulet des autres. En compensation, on aidait ces mêmes gens dans leur travail. Il fallait encore aider aux autres pour avoir le mulet. »

Toute la famille devait aider ? « Je devais m’occuper des vaches, remonter la marchandise avec le mulet, faire les foins, tout. »

Comment est-ce que vous vous nourrissiez pendant la guerre ? « On se nourrissait de produits à nous. On avait beaucoup de champs tu vois, on plantait toutes sortes de légumes. On plantait des haricots, des carottes, des choux. Pour l’hiver, on mangeait des choux, des choux-raves. On tuait un taureau. On faisait la boucherie. Ceux qui avaient moins de campagne, ils pouvaient acheter un peu, mais ceux qui avaient plus, ils ne pouvaient pas. »

Ça c’était avec les coupons de rationnement ? Ce que vous aviez, ils ne donnaient pas sur les coupons ? « Ah rien, ils donnaient rien. »

Donc vous receviez quoi ? Du sucre ? « Le sucre, et puis un peu de polenta, du pain, ils donnaient un peu, pas beaucoup, parce qu’on avait des champs, on pouvait faire le blé mêmes pour faire le pain. On allait en bas à Beuson. Là-bas, il y avait le moulin, le four pour faire le pain. »

Vous aviez des difficultés pour vous nourrir ? « Ah non, on avait assez à manger. Tu vois quand on avait les cochons, les moutons, tout. »

Avez-vous ressenti une différence avec l’avant-guerre ? « On a ressenti une différence, car on pouvait moins acheter. Tu vois, avant la guerre on achetait plus. Il fallait un peu se tenir. »

C’était difficile pour les femmes au foyer ? « Mon papa s’occupait des champs. Il était un peu âgé, alors il a pas été pris pour la mobilisation. Tu vois, 39-45, le père à nous, il est mort en 56. Alors il travaillait encore beaucoup, à la campagne, les vignes. »

Vous aviez des vignes ? « On avait les vignes à Vétroz, mais c’était tout à pied. On menait en haut le vin et les bosses avec le mulet. Tu vois, ça c’est une jolie antiquité, quand tu trouves les bosses, les machins en cuir que tu mettais sur le mulet. »

Tous les enfants descendaient ? « Oui, moi je me souviens la première fois que je suis descendue, j’avais 7ans. Moi j’allais que pour les vendanges. Et puis on avait le mulet, mais pour descendre, on pouvait pas tant monter sur le mulet alors depuis Aproz en là à Vétroz, on pouvait monter. Mais pour monter après quand on avait la charge des vendanges, on pouvait pas tant monter sur le mulet alors tu vois depuis Vétroz en là à Clèbes à pied et à sept ans en plus. Oui, je dis aux jeunes maintenant : « Si vous aviez fait comme ça… Il faudrait apprendre à travailler la campagne. » Ah bon dieu c’est ça que j ai peur. »

Vous aviez des bêtes ?« Oui, tu vois, on avait assez de fromage, on faisait des tommes. On avait tous des vaches ici en haut à Clèbes et à Veysonnaz. Ils ne laissaient pas pousser les arbres dans les prés. Il ne fallait pas laisser pousser le bois pour avoir du foin pour les vaches. C’était tout « poutzé ». »

Vous aviez aussi des chèvres, des cochons ?« Oh oui des chèvres, on en avait. Les vaches l’été, on les mettait à la montagne et les chèvres, on les gardait dans les « communaux ». Les gamins allaient garder les chèvres matin et soir. »

A quoi les chèvres  vous servaient ? « Pour le lait, durant l’été, lorsque que les vaches étaient en haut. On n’achetait pas de lait. Ce n’était pas rien durant la guerre, avant aussi. Pendant la guerre on était un peu plus serrés. »

Mais vous avez quand même senti une différence ? « Oui, c’est sûr, on a senti une différence. »

 Pour se nourrir ?« Pour se nourrir, tu vois, ceux qui n’avaient pas. »

Il y avait des familles qui avaient plus de peine ?« Oui, il y avait ceux qui avaient plus de peine. Mais certains avaient quand même en plus. Il ne fallait pas jeter la marchandise, il fallait faire des réserves et il fallait donner à ceux qui en manquait. Il fallait savoir se partager. Le monde était plus généreux, on s’arrangeait. »

Les gens au village étaient tous paysans ?« Oui, ils étaient tous paysans. Il n’y avait pas de travail, rien à gagner, un peu avec les vignes. C’est ça, les sous étaient rares et si on avait du travail, ils ne payaient pas beaucoup, 7 francs pour la journée. On partait en bas à Vétroz et on restait là-bas, on avait le « mazot ». On restait en bas toute la semaine, on remontait le samedi soir. On repartait en bas le lundi matin. On prenait en bas un bout de tomme et puis on dormait tous ensemble dans le « mazot ».

C’était vos vignes ? « Des fois c’était les nôtres mais s’il y avait quelqu’un qui demandait, alors on allait travailler pour ces grands propriétaires de Vétroz. Ils ne nous payaient pas beaucoup, la vie était moins chère aussi. C’est sûr que ce n’était pas comme maintenant, où il faut payer les impôts. Mais on arrivait quand même à tourner.

On n’avait pas envie de courir encore le dimanche, quand on avait travaillé toute la semaine, on était contents de se reposer le dimanche. Non mais c’était dur, mais on n’a quand même pas eu la guerre tu vois. Oh bonté ! Quand il fallait tout cacher les fenêtres, pas laisser voir depuis dehors. Et puis quand on a entendu arriver ces gros bombardiers. »

Ils passaient ici ? « Oh ben c’était les Allemands, pour aller bombarder en Italie. Nous ici, on n’entendait pas éclater les bombes, mais ceux qui étaient près de la frontière, il entendaient éclater les bombes en Italie. C’était ennuyeux quand on entendait arriver ces avions. »

Ça faisait peur ?« Oh bonté, tu ne sais pas le bruit qu’ils faisaient ces avions. On était quand même contents de ne pas avoir la guerre.  C’est sûr qu’on a passé rude. Un est tombé à Thyon, il était déjà en flammes quand il est arrivé, il a laissé tomber une bombe en bas sur Vevey. Il pouvait plus aller et l’autre bombe ils ont lâchée sur Hérémence. Arrivé à Thyon, il a touché les fils électriques. »

Sinon comment ça se passait pour le rationnement ? Qui distribuait les tickets ?« C’était les employés de la commune, ils distribuaient dans tous les villages. Ils venaient à la maison d’école et puis on allait chercher les cartes là. Là c’était tout écrit ce qu’on avait besoin. C’était tout préparé avant. »

Etait-ce équitable ?« Oh oui, c’était déjà prêt là. Ils y en avaient qui vendaient les tickets mais si on était choppé, alors tu payais cher. Tu ne pouvais pas livrer les tickets à d’autres. Il y avait quand même ceux qui faisaient de la contrebande. »

Il y avait de la contrebande à Veysonnaz ? « Oui, quand il y avait sur les tickets des bons auxquels on n’avait pas droit : les légumineuses, la viande. Mais si tu te faisais choper à vendre une tomme, tu payais cher la tomme. Ils surveillaient ça. »

Mais les gens surveillaient réellement ? « Oh oui, une fois, il y avait une de Clèbes qui est descendue pour vendre une tomme. Celle du magasin elle a dit, tu laisses la tomme là, tu la caches mais s’il faut payer je téléphone aux flics maintenant. La tomme est restée là. Ma foi, on avait quand même envie d’aller vendre. »

Ceux qui n’avaient pas assez en plaine faisaient-ils des échanges avec ceux de la montagne ? « Oui, il y a bien eu de ça, ceux qui faisaient des échanges. Mais il fallait pas se faire choper. »

Les coupons vous permettaient-ils toujours de vous nourrir suffisamment ? « Oui, oui, on avait assez. »

Vous avez senti des différences avec le plan Wahlen au village ?« Non, non, je te dis, on avait tout planté ici ce qu’on avait besoin. On avait tout ce qu’il fallait. »

Mais vous y avez participé quand-même ? « Ah oui, pendant la guerre, ils donnaient des subsides. T’avais le droit d’aller chercher du blé à la commune. Ils faisaient venir du blé. On payait moins cher à la commune pour planter. Je me souviens qu’on allait chercher. Mais ils donnaient pas plus que tant. Comme ça, on pouvait garder le nôtre pour utiliser ce qu’on avait besoin. On avait toutes sortes de blé. On plantait du seigle pour faire le pain, de l’orge pour nourrir les cochons, du froment pour la farine à nous et puis de l’avoine pour donner à manger aux vaches. On faisait fouler au moulin l’orge, ils enlevaient donc la croûte et on utilisait pour faire la soupe. On se nourrissait beaucoup avec la soupe d’orge en été, c’était bon. On mettait des fèves, des pois, tous les légumes qu’on avait et puis on mettait de l’orge. On se nourrissait de spécialités paysannes. »

Pendant la guerre vous mangiez toujours assez ? « Oui, oui. On n’avait pas d’argent, même avant la guerre. Il n’y avait rien à gagner, l’argent était rare. Si on pouvait vendre une vache en automne, on passait bien l’hiver, rien qu’avec une vache. Il fallait vendre une vache pour passer l’hiver. »

Vous arriviez facilement à vendre cette vache ? « Oui, oui, c’est sûr. »

Vous faisiez tous la boucherie aussi ? « Oui, on gardait toujours un taureau pour tuer en hiver et puis encore les cochons. On avait tous un ou deux cochons. Ça ne coûtait pas cher. On le nourrissait de feuilles, de légumes, de feuilles de chou, de son, de farine d’orge, de betteraves et là le cochon, il devenait beau. En été, on mettait aussi les cochons en haut à la montagne pour les laisser courir, manger l’herbe. Mais c’est sûr qu’il fallait travailler. »

C’est ça qui changeait en fait, vous aviez une grande quantité de travail. « Oui, c’est sûr. Il fallait entretenir la campagne, il fallait arroser sans arrêt. C’était tout limité les heures pour le bisse. On avait tant d’heures chacun. »

Et puis vous deviez aller aux champs ? « Au printemps, direct quand était partie la neige. Même les enfants, quand ils sortaient de l’école, vite prendre un bout de pain et puis aller outre sortir les moutons. »

Etait-ce dur pour les familles dont les maris étaient mobilisés ? « Ces familles s’arrangeaient avec la parenté, la famille. Ils ne laissaient pas planter une femme seule avec ses enfants. On travaillait ensemble, on s’entraidait.»

Pendant l’hiver, la vie était-elle plus dure ? « Il fallait aller chercher du bois dans la forêt, il fallait couper le bois et puis après mener en bas jusqu’à Trois-Torrents et puis avec le mulet, il fallait traîner le billons. Après ça il fallait scier, couper et puis laisser sécher deux trois jours. Et le soir, il fallait gouverner les vaches. On avait les vaches partout. Tout le monde possédait une grange. »

Pour vous chauffer l’hiver, vous aviez assez de bois ? « Il fallait aller chercher. Il fallait aller couper à mesure. »

 Vous étiez des travailleurs. « C’est sûr. Ça a toujours été comme ça, mais pendant la guerre, avec la mobilisation, c’était plus pénible. C’était tout sur le dos de ceux qui devaient rester là. »

C’est à cette période que la culture des fraises a débuté ? « Oui, c’était juste après la guerre. Ça a beaucoup aidé les fraises, car les fraises de montagne, elles étaient bien appréciées. Mais c’était pénible la cueillette. Tu vois, tu ne pouvais pas mettre sur le mulet ça, parce que ça secouait trop. Mais c’est sûr que ça a beaucoup aidé. Et après sont arrivées les framboises. Mais dès qu’ils ont commencé à faire venir depuis les pays extérieurs, les gens achetaient moins. Les fraises, on a beaucoup cultivées. Tous les champs que tu vois là en bas, c’était tout des fraises. Trois camions qui venaient en haut pour chercher les fraises. Mais bon, ça s’est vite arrêté. Mais quand une chose marche bien, c’est toujours comme ça, encore maintenant.

Ils sont venus les réfugiés qui ont pu s’échapper sur la Suisse. Les Polonais sont venus. Ici, à Nendaz et à Aproz, ils ont fait des baraquements et ils logeaient là. A Veysonnaz et à Clèbes, il y avait pas. Mais tu vois, ils faisaient pas comme maintenant, ces gens, ils travaillaient. Ils les plaçaient dans des endroits où ils défrichaient et ils donnaient tant par jour. Je me souviens bien de ces réfugiés. Quand on allait aux vignes à Vétroz, il y avait un baraquement juste à côté de la route. Ils ont fait à deux endroits en bas à Aproz. Ces pauvres gens, ils nous voyaient passer avec la charge de vendange, le raisin et ils venaient en ça. Ils voulaient manger. »

Vous arriviez à vous fournir des habits ? « On n’avait pas plein le buffet comme maintenant. On ne pouvait pas suivre la mode. Il n’y avait sûrement pas de mode en ce temps là. On n’avait pas tant de catalogues. On devait filer la laine, tricoter tout l’hiver. Il fallait tondre les moutons en automne et au printemps, deux fois par année, faire des maillots pour tous et puis les bas. En hiver, pour aller gouverner les vaches, on mettait des gros bas de laine. On n’avait pas de pantalon, les filles. Tout le monde avait les moutons pour la laine et puis on en tuait en automne pour la viande. »

Pendant la guerre, vous deviez tuer des bêtes ? « Oh oui, on tuait plus.

Avec la faucille, par exemple on devait faire les champs. On coupait tout et puis on laissait sécher dans les granges. C’était le foin pour les moutons.

Les souliers, on faisait faire au cordonnier. Pour le cuir, on faisait tanner la peau du taureau. Ah là, on laissait rien perdre, on trouvait une utilité pour tout. »

Vous n’aviez pas beaucoup de loisirs ? « Si, si, on allait jouer aux cartes, on faisait des longues veillées, on tapait aux cartes. »

Mais il y a des jours où c’était plus dur ? « Ah ben c’était comme ça. Mais on n’a pas eu de massacre. On vivait toujours dans la peur. On avait toujours peur qu’ils envahissent, car tous les pays autour étaient en guerre. »

Vous entendiez Hitler à la radio ? « Ah oui, on entendait partout, on voyait partout la croix gammée. Cette croix, elle était mauvaise, contre la religion. »