Date de naissance : 9 juillet 1919

Il vivait chez ses parents pendant la guerre. Il a été mobilisé en 1939 et en 1942, il a été embauché dans une entreprise fédérale et est parti travailler à Saint-Maurice dans les forts.

* Déroulement de l’interview

 

Quand tu vivais chez tes parents, quelle était ton activité principale ?

« On travaillait avec le père à la campagne, et puis quand on trouvait un chantier où on pouvait aller pour se faire 2 ou 3 sous et bien on allait. La campagne, c’était la vie des gens par là. Il fallait faire le lait, le fromage, on faisait la boucherie en automne, on séchait la viande, on mettait au galetas, tout ça. Autrement moi j’ai travaillé à Chippis, à l’usine, quelques temps là-haut. Mais alors là, c’était pas intéressant. Pour faire huit heures de boulot, il fallait être douze heures loin de la maison. Il fallait aller prendre le car à 4 heures et demie à Beuson pour commencer à 6 heures là-haut et pour être en bas à 4 heures et demie à Beuson, il fallait partir à 4 heures depuis Clèbes. Et puis pour revenir, c’était de nouveau la même chose. On calculait qu’il fallait douze heures entre les transports et les huit heures de boulot. »

C’était quoi comme usine à Chippis ?

« C’était une usine d’aluminium, ils fabriquaient l’aluminium. Entre parenthèses, ils fabriquaient beaucoup pour les Allemands aussi, pour avoir un peu de boulot, ils… Mais enfin. Nous, on n’avait rien le droit de dire. Mais c’était quand même douze heures loin de la maison, et puis arrivé le soir, tu pouvais encore pas faire ce que tu voulais. Et puis quand on était dans l’équipe de nuit. Mais là, la journée, on était libres, on commençait à dix heures le soir. Mais moi j’ai peiné la nuit là-haut, c’était pénible. Le sommeil, c’est quelque chose d’affreux. Ça allait bien jusqu’à 3 heures et demie, 4 heures le matin, mais là, il fallait savoir se cramponner. T’avais beau aller aux toilettes, mais le contremaître, il voyait bien que t’étais loin, il contrôlait. »

En quelle année as-tu commencé à travailler là ?

« En 41. »

Est-ce que vous gagniez bien ?

« Je peux pas te dire. Non, non, c’était minime. Les chantiers, c’était 60 centimes de l’heure, mais comme on faisait huit heures, alors on touchait un peu plus. Mais le problème, c’est que c’était loin pour nous. Il fallait descendre à pied et aussi remonter tard le soir. Mais on n’avait pas tant de choix et on était déjà contents de trouver quelque chose. Autrement, moi j’allais beaucoup travailler aux vignes. »

C’était les vôtres ?

« En même temps, on piochait les nôtres, mais notre but, c’était d’aller piocher celles des « môchieurs », de celui qui travaillait pas. Alors on passait toute la semaine à Vétroz, on remontait seulement le samedi et on redescendait le dimanche soir avec un peu de ravitaillement. Bon là-bas, on avait tous une baraque. Mais on était une dizaine ensemble et puis on faisait la soupe et tout ça. Et l’été, on allait attacher les vignes de ceux qui avaient beaucoup de vignes et qui ne travaillaient pas. 10 ans j’avais la première fois que j’ai été en bas, 100 sous par jour (= 5 francs). Un moment donné, on allait jusqu’à Chamoson pour piocher les vignes, 4 francs par jour. Mais là, on était nourris et logés. »

Sinon pendant la guerre, tu travaillais à la campagne ?

« Oui, la vigne. Et l’hiver, on coupait beaucoup de bois. Il y avait de ceux qui engageaient des gens pour couper le bois. On allait jusqu’aux Mayens-de-Sion et on faisait des flottes de bois. »

C’était facile à cette époque de gagner de l’argent ?

« Oh facile, il fallait travailler. Quand il faisait très froid, il fallait quand même aller, on mettait les passe-montagnes. Il fallait bien s’habiller. Une année, on a travaillé entre Siviez, Novelli, Tortins, on a commencé à la fin octobre et on a fini le jour de la Sainte-Agathe, c’est le 5 février. Mais on a tiré en bas le bois depuis tout en haut le sommet de la montagne et on a chargé sur les mulets jusqu’en bas à Beuson, 400 mètres cubes de bois, t’imagines le tas que ça fait. Mais je me souviens qu’on était au fond de Combatseline et il faisait moins 21. Mais tu sais quand tu travailles le bois, tu sens plus le froid. Mais là je sais plus combien on était payés. En principe ils payaient tout à la fois. »

Etait-ce pendant la guerre ?

« Oui, juste avant que je travaille aux fortifications. »

Y avait-il du travail au village ?

« Non, il n’y avait pas de travail au village. »

Combien avais-tu de frères et sœurs ?

« On était quatre frangins et quatre frangines, on était huit. »

Tout le monde aidait les parents ?

« Oui, mais moi j’étais quand même le deuxième. Alors moi j’ai peut-être un peu loupé mon adolescence, car j’ai dû aider les parents, j’ai dû aider le père, car ma mère est décédée, j’avais quatorze ans. Le dernier des frangins avait neuf mois, alors moi j’ai dû me sacrifier pour aider le père avec la frangine. Elle, elle remplaçait un peu la mère. C’est pour ça que j’aurais peut-être fait des études, car j’étais pas mal à l’école, je suis longtemps resté le premier de classe. Mais le père il avait déjà prévu, il voulait m’envoyer pour faire le collège. Lui il avait idée de capucin. Mais bon, c’est pas plus mal, comme quoi il y a quand même une petite destinée. »

Mais ton papa était un paysan ?

« Oui, un paysan, il allait en bas aux vignes. Pour ce que je connais ici, tous les hommes étaient paysans, ils allaient travailler en bas aux vignes. C’étaient les femmes qui gouvernaient le bétail. »

Donc tes sœurs faisaient ce travail ?

« Oui, ma sœur aînée. »

Etait-ce dur ?

« Oh oui, là, ça a été les années les plus dures. Il n’y avait rien à gagner. Après j’ai voulu faire un apprentissage, mais j’ai pas trouvé dans tout le Valais romand, soit maçon, soit menuisier, soit électricien, j’ai pas trouvé de place. Mais alors après, j’ai encore eu du bol, j’ai été pris dans les fortifications comme téléphoniste, électricien. J’ai tout passé mon examen. Parce qu’il y avait un article qui disait qu’après cinq ans de pratique, tu fais les cours professionnels et ça compte comme un apprentissage. »

Mais pas tout le monde trouvait du travail ?

« Non, pas tout le monde. Mais il n’y avait pas de chômage. (rires) Il n’y avait pas de caisse chômage. On n’avait pas de travail, on avait rien. Et finie la guerre, la vie est repartie en hausse, il fallait tout reconstruire ces pays qui avaient été dévastés, il fallait refouler du matériel, alors après est venue la haute conjoncture. C’est venu d’un coup cher et puis on n’avait rien pu économiser, puisqu’il n’y avait pas moyen d’économiser. Il y avait pas, il y avait pas. »

Oui, car vous ne gagniez pas d’argent, donc c’était impossible d’économiser.

« Mais bien sûr. Après, on a commencé à gagner un peu dans les forts mais ma foi, il fallait tout donner à la famille. La mère était décédée, et puis j’étais le premier quoi, la frangine elle faisait le ménage. Il fallait donner pour pouvoir se nourrir. »

Avez-vous ressenti des différences dans votre agriculture ?

« Ici c’est venu les fraises, alors ils se faisaient des ronds avec les fraises. »

Avez-vous participé au plan Wahlen ?

« Le plan Wahlen, on a tous dû participer, on devait avoir tant de mètres carrés de patates, tant de terres et tout ça. En bas par la plaine, il y a les Polonais qui sont venus défricher, planter les pommes de terre, au moins avoir assez de pommes de terre. Qu’est ce que tu veux, il n’y avait pas de marchandises, tout était rationné. La polente, il n’y avait plus de vraie polente, il y avait un espèce de mélange de patates et de polente. Et puis avec le rationnement, on n’avait pas le droit à plus que tant. »

 

Vous n’aviez pas grand-chose avec le rationnement.

« Je me souviens pas, je peux pas dire un chiffre. Je sais que c’était très peu. Suivant quoi ça allait, mais comme le sucre, c’était très peu le sucre. Le sucre, la farine. »

Qu’est-ce qui était rationné ?

« Tout était rationné. Il fallait tout avoir avec la carte. Et puis le pain, on n’avait pas droit pendant 48 heures parce que des gens mangeaient moins. Alors il y avait le slogan écrit sur les boulangeries : « Du pain dur, c’est dur, mais point de pain, c’est encore plus dur. » Mais bon là, le pain blanc, ça existait pas. C’était tout du pain bis. Mais il était moins bon que celui qu’ils font maintenant. Alors nous dans les forts, on avait deux boulangeries et moi j’étais copain avec le boulanger d’une. Alors quand je rentrais le samedi, il me refilait une miche de pain blanc, parce qu’il faisait le pain pour l’armée, pour les soldats qui étaient mobilisés. Ils gagnaient 60 centimes par jour, chaque dix jours, 6 francs. »

En quelle année as-tu commencé l’école de recrue ?

« En 39, la mobilisation, mais dans les forts, seulement en 42. Quand j’ai eu fini l’école de recrue, j’ai dû rejoindre mon unité, une à Bussigny, une à Moltigen. On était convoqués partout, il fallait faire au minimum un mois par année. C’est pour ça qu’après un copain nous a embranchés dans les forts, car on avait fait la demande pour entrer dans les forts. Comme ça après, on était tranquilles, on avait réussi. »

Par rapport au plan Wahlen, les cultures ont quand même augmenté ?

« Oh oui. »

Aussi à Clèbes ?

« Non, pas à Clèbes. Chaque ménage avait assez, chaque ménage se débrouillait pour avoir ces mètres carrés de pommes de terre qu’ils réclamaient ou de légumes autrement aussi. Mais ceux qui ont fait le plan Wahlen, c’était pour l’ensemble de la Suisse, pour alimenter la confédération en pommes de terre. »

Donc il n’y avait pas vraiment de différence dans le village ?

« Oh non, je crois pas. Et puis où on pouvait gouverner encore un peu, c’était les produits laitiers, on faisait pas tout contrôler, parce que si on avait tant de lait, ils enlevaient sur les cartes. Mais ils pouvaient pas tout le temps contrôler de A à Z le fromage, tout ça. Alors on déclarait les vaches, mais on n’était pas obligés de déclarer au litre près le lait qu’elles avaient. On réussissait à faire une tomme ou deux de plus, ça aidait toujours. On pouvait faire beaucoup moins de fromage et puis alors on faisait plus de beurre. On avait le beurre pour  les besoins de la maison. Et puis alors à la boucherie, on tuait un « mozon », un cochon, un mouton, je crois que tout le monde avait des moutons. »

Tout le monde avait du bétail ?

« Oui, tout le monde, mais ce qui comptait, c’était les vaches. Si t’avais assez de vaches, tu faisais beaucoup plus d’élevages et les élevages étaient pas contrôlés de A à Z. Parfois tu pouvais avoir un « mozon » de plus pour tuer. Mais ma foi, il y avait quand même certaines choses qui manquaient. Et nous on avait encore la chance, car dans les forts, on pouvait acheter des marchandises : le chocolat, le café, je crois pas le sucre. Alors ils nous donnaient la moitié plus. On avait le droit à un kilo de café et on pouvait prendre deux kilos, car chaque troupe mobilisée touchait au magasin tant de ceci et tant de cela, comme ça ils renouvelaient les stocks, ce qui était vieux, ils donnaient à la troupe. Ils arrangeaient ça. Ils enlevaient un peu à la troupe et ils donnaient aux employés. Moi je me souviens que si je commandais un kilo de chocolat, j’avais deux kilos. Donc il fallait payer, mais en quantité, on pouvait avoir plus. J’avais même une tante qui me donnait en bas de l’argent, comme ça je prenais pour elle aussi, la mère à Lydia Glassey, ah ben t’es allée aujourd’hui chez elle. Sa mère est une sœur à ma mère. On est premiers cousins avec Lydia. »

Y avait-il des échanges dans le village ?

« Oh ben j’ai pas aperçu, mais je suis sûr que toi si t’avais trop de tickets et puis un qui n’avait pas assez… Ça, ça se sera bien passé, obligatoirement. A la fin du mois, il fallait avoir le compte. « Jean di tickieu », il distribuait les tickets. On était cinq, dix en famille, on avait droit à tant. »

Vous aviez assez à manger avec les denrées prévues sur les tickets ?

« Oh ben c’était quand même plus dur, il fallait savoir être économe. Il ne fallait pas gaspiller. »

Vous deviez faire des réserves ?

« Ça c’était avant, car les magasins donnaient plus sans ticket. »

Avez-vous pu faire des réserves ?

« Il y en a qui ont fait, d’autres ont pas fait. Il fallait quand même suivre les directives des ravitailleurs. Eux ils sentaient qu’avec la guerre, on pourrait pas avoir. Il fallait faire des réserves de sucre par exemple. Mais il fallait pas faire des réserves de n’importe quoi, il fallait faire de choses qui se conservaient. La farine, je pense pas que tu pouvais faire des tas de réserves. Là, ça a sûrement été que ceux qui avaient des sous pouvaient faire plus que d’autres. Je me souviens que la polente, on a acheté 50 kilos d’un coup avant la guerre. Je pense qu’on avait bien 50 kilos avant la guerre. Je me rappelle pas du prix. Je me rappelle qu’on payait la bière 25 centimes. Les croissants étaient 20 centimes. Mais on était mal nourris les mobilisés. On n’avait pas de pain. On touchait 400 grammes de pain par jour. »

Il n’y avait pas assez à manger ?

« Il y avait juste juste et c’était pas bon, c’était maigre. »

C’était pire que quand tu revenais à Clèbes ?

« Oh oui ! Heureusement qu’on pouvait prendre quelque chose à la maison avant de partir, un bout de fromage ou je sais pas quoi. Quand on faisait la boucherie, on prenait un bout de viande séchée. C’était vraiment maigre. Et puis quand t’avais toute la journée l’exercice à fond la caisse. Nous, on était en plein été, au mois de juillet. Et puis c’était la méthode allemande quoi. Alors on avait les tuniques avec le col en haut ici. Ils copiaient les Allemands pour les habits, pour la discipline. » […]