Date de naissance : 8 janvier 1925

Il vivait chez ses parents pendant la guerre et était l’aîné de trois enfants.

Sa femme, Céline, née en 1926, a aussi participé à l’interview. Elle vivait également chez ses parents. Chez elle, ils étaient sept enfants.

 

 

* Déroulement de l’interview

 

Quelle était votre activité principale pendant la guerre ?

Théophile : « Il faut admettre que j’ai fini mon école primaire, c’était en 40, au mois de mai. Il faut dire qu’on vivait plus ou moins aux dépens des parents encore. Comme formation, il y avait l’école complémentaire, mais il n’y avait pas vraiment de moyens. Bon j’aurais pu faire éventuellement l’école à Châteauneuf ou encore le collège, mais comme j’étais l’aîné de la famille, c’était difficile de s’absenter et de revenir après. Il fallait rester pour collaborer. »

Vous deviez donc aider aux champs ?

Théophile : « Oui, c’était le travail, c’était la campagne. On avait du bétail, les champs, la culture de céréales, pommes de terre, donc tout ce qu’il fallait pour survivre aux besoins de la famille et du bétail. »

Donc le soir après l’école, vous alliez aider ?

Théophile : « Bien sûr, il fallait donner la main. Il fallait coopérer. »

Ça a été difficile ça pour vous pendant la guerre ?

Théophile : « Donc, pour moi, personnellement pas, malgré que j’étais l’aîné et que j’avais plus de responsabilités que ceux qui ont suivi. Mais pour moi qui étais très discipliné, ça a bien joué, j’ai rien ressenti de négatif. »

Etait-ce tout de même un travail pénible ?

Théophile : « Pénible, oui, ça d’accord, mais il fallait faire à la juste proportion de ce qu’on pouvait faire, du physique qu’on avait et de l’envie de donner un coup de main. Il y avait plus ça, plus que tout le reste. »

Aviez-vous des moyens de gagner de l’argent à cette époque ?

Théophile : « Justement, c’était les moyens qui manquaient. On était plus ou moins en permanence à la campagne. Et puis la première année que j’avais fini mes classes primaires, j’ai gouverné le bétail. Habituellement, c’était le père qui s’occupait, mais là, j’ai repris la relève pour une année et puis après j’ai travaillé avec un nommé Marcelin Fragnière, il était juge, on faisait une coupe de bois dans le bosquet sous le village qui appartenait à la commune. La commune avait délivré ça à ce monsieur pour couper le bois. On faisait du bois d’affouage. Alors on descendait jusqu’à Baar par les moyens de l’époque, les luges, les traîneaux et là-bas, on sciait en stères. J’ai travaillé environ cent jours, mais c’était que la mauvaise saison. Ça a duré depuis le mois de novembre jusqu’au printemps, fin avril, peut-être. Mais il y avait quelque chose à gagner. Ce qu’on gagnait, c’était mince. Je peux pas dire combien c’était précisément, mais autour des 6 francs par jour, rien de plus et huit heures de travail. Bien sûr aucune comparaison avec aujourd’hui, il y a eu l’évolution de l’économie. Alors ça c’était la deuxième année, la première année, j’ai gouverné le bétail, la deuxième année, j’ai fait cette coupe de bois, et puis… »

Vous alliez aux vignes aussi ?

Théophile : « Oui, on travaillait dans les vignes. Alors au printemps, on allait dans les vignes, on allait bêcher la vigne, parce que c’est pas comme aujourd’hui où ils faisaient rien du tout. Aujourd’hui, on ne bêche plus la vigne, mais à l’époque, on bêchait comme un jardin. Oui, on piochait voilà. Voilà, ça c’était le travail, disons quand la bonne saison venait et puis après, c’était les foins, la montée au mayen avec le bétail. On allait avec la mère, le frère et la sœur. Ils étaient petits bien entendu. Oui, on avait huit ans d’écart avec Aloys, lui, il est de 33 et la sœur elle est de 35. »

Vous pouviez gagner de l’argent en allant aux vignes ?

Théophile : « Donc il y avait quelque chose à gagner, soit en automne avec la vendange et puis au printemps quand il fallait préparer le terrain. »

 

 

Sinon en automne vous faisiez la boucherie aussi ?

Théophile : « Ah il y avait aussi la boucherie, oui. On avait un porc et puis éventuellement un bovin aussi. Si c’était pas pour nous tout seuls, c’était divisé, on était deux personnes, deux familles, on faisait la boucherie ensemble pour certaines choses. »

Et avec ça, vous arriviez à tourner ?

Théophile : « Ah ben c’était la vie de l’époque. Après, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Ah, il faut réfléchir, méditer, creuser. » (rires)

La vie était-elle dure pour vous ?

Céline : « C’était dans les vignes, quelques jours. Autrement comme gagne-pain, on n’avait rien. Moi j’ai fait des fois descendre à Sion à pied, aller jusqu’en dessous de Savièse et pour dix heures de boulot, j’avais 100 sous. C’était pour les vignes. On était boniches et on avait 30 francs par mois. Et puis tu sais, il fallait se lever de bonne heure la matin, on n’avait pas une minute, quand on avait fini avec la cuisine, il fallait « putzer », on était occupés sans arrêt. C’est sûr que la vie était dure, mais on était contents de trouver ça. »

Théophile : « A défaut de mieux. »

Céline : « Il y avait de ceux qui avaient un peu plus de campagne, qui avaient plus. Mais nous, le peu de campagne qu’on avait, on était quand même sept gamins, alors tu vois, c’était pas évident de vivre que là-dessus. On avait de la chance chez nous, c’est que papa il avait le four en là à la Golette et puis les gens du village avaient des champs. On cultivait le blé à ce moment-là et puis on allait le moudre, soit à Beuson, soit à Pravidondaz. La Confédération nous donnait des subsides pour aller moudre le blé. Alors on faisait moudre et c’était le meunier qui nous certifiait le blé qu’on avait. Alors papa, il avait la boulangerie et les gens venaient faire cuir le pain au four, travailler le pain et ensuite cuir le pain. Mais les gens n’avaient pas d’argent, alors pour payer, ils laissaient du pain. Alors tu penses qu’on en avait assez. On en avait au galetas. Mais quand on allait prendre, il était tellement dur qu’on prenait la petite hache pour couper. Et des fois, on passait en haut à la fontaine à la Golette. Juste à côté de la place, il y avait une fontaine, alors on trempait le pain dans la fontaine pour le ramollir et puis souvent tu vois. (rires) On n’avait pas la patience d’attendre, alors on passait directement dans la fontaine. Et puis du point de vue hygiène, il fallait pas trop être… »

Théophile : « On était vaccinés. » (rires)

Céline : « Mais c’est clair, pour jouer, tu trouvais une petite boîte de conserve, une petite bricole, n’importe quoi. Laver, tu te lavais tout à la fontaine. C’était très dur comme vie, mais je crois que dans le fond, quand tu fais le recul, tu te dis que c’était incroyable, rien que pour le bon temps, parce que de l’insouciance, on en avait plus qu’après. Après, ça nous a quand même apporté une perturbation. On peut dire carrément qu’on est passés de la crémaillère à l’informatique. Alors il ne faut pas s’étonner que dans l’informatique, on n’y connaît rien. » (rires)

Quand vous gagniez de l’argent à cette époque, il fallait bien sûr donner à la famille ?

Céline : « Tu gagnais pour toi, mais c’était pas pour toi, c’était pour tout le monde. Tu pouvais pas t’approprier comme ça. La vie était bien différente. Je dis, quelqu’un qui n’a pas fait, il peut pas s’imaginer. Il fallait se bagarrer pour avoir à manger, comme le Tiers-Monde. On ne parlait pas de faire des économies ou de s’acheter des beaux habits. C’était juste le strict nécessaire. On peut pas dire autrement. Nous on dormait sur la paillasse. »

Théophile : « La paillasse, c’était un tissu doublé, avec une ouverture pour pouvoir mettre la paille à l’intérieur. C’était ça le matelas. »

Céline : « Je me rappelle encore des métiers à tisser qu’elles faisaient mes tantes et ma mère. »

Théophile : « Mais ça c’était une autre époque, en 20-25. »

 

 

Pendant la guerre, avez-vous senti des différences par rapport à avant ?

Céline : « C'est-à-dire que pour nous pendant la guerre, non on ne peut pas dire. Parce qu’au contraire, il y avait certaines autres choses. Moi je me rappelle, ils nous donnaient des bons pendant la guerre et il y avait certains bons que nous on n’utilisait pas. Alors je me rappelle qu’il y avait un magasin à la place du midi, c’était Coppex, un magasin de tissus. Alors mes parents, ils portaient en bas des choux-raves, des choses comme ça et puis alors des bons, et ces bons ils les vendaient très cher. En échange, ils donnaient autre chose. Nous, on pouvait vendre les tickets de beurre qu’on n’utilisait pas. On était des nombreuses familles, alors on avait beaucoup de cartes. Il y a des gens qui se débrouillaient pas mal, ils faisaient du troc quoi. »

Vous aviez le droit de faire ça ? Enfin, il n’y avait pas de contrôles ?

Théophile : « On pouvait faire ce qu’on voulait de ce qu’on recevait. On pouvait se servir soi-même ou attendre que ce soit périmé. Alors s’il y avait des tierces personnes qui avaient besoin, on pouvait donner. »

Céline : « Mais je ne pense pas que les gens se vantaient qu’on leur donne quelque chose à la place. Et puis les gens qui faisaient ça, ils le faisaient sans rien dire. » […]

Qui vous donnait les tickets de rationnement ?

Céline : « C’était « Henri de la scie ». »

Qu’est-ce qui était rationné ?

Céline : « Oh et bien il y avait le beurre, le fromage, c’était un peu tout. Le sucre, la farine. »

Vous aviez de la peine à vous nourrir ?

Théophile : « Donc non. On avait de la campagne, on avait du bétail, disons que les matières premières, on les avait. Bien sûr, on n’a pas péché souvent avec la gourmandise. Mais les produits qu’on avait, on pouvait manger à satiété, à volonté. Ça ne nuisait pas à la santé disons. On n’a pas eu un manque. » […]

Céline : « Moi je me rappelle, ta grand-mère, donc Marie, la maman d’Aloys, elle avait des cousins en haut à Verey qui avaient beaucoup de peine. Mais elle faisait tout pour donner quelque chose. Le père était mort, la maman elle était restée avec deux trois gamins, tu vois. Mais ta grand-mère, elle en a fait pour ces gens, elle donnait beaucoup. Eux, ils avaient quand même plus d’aisance, le papa, il s’occupait de la poste, ils avaient quand même de l’argent qui rentrait. Tandis que d’autres, ils avaient du matériel, mais de l’argent, ils avaient pas. Il fallait quand même payer certaines choses. […] Non, on ne peut pas dire qu’on a vraiment eu faim. »

Théophile : « Non, loin de là. On n’avait pas tout ce qu’on voulait mais le nécessaire, on avait. »

Votre père a-t-il été mobilisé ?

Théophile : « Oui, mais il a fait les complémentaires. »

Céline : « Mais c’était plutôt les grandes familles dont les garçons faisaient les militaires, car ils avaient la solde et ça leur rapportait. Il y a deux trois du village qui ont fait dans ces intentions-là, car on donnait tant par enfants. »

Théophile : « Il a fait ce qui était réglementaire, mais ils n’a jamais fait de demande pour faire plus. »

Est-ce que vous avez senti des différences avec le plan Wahlen ?

Théophile : « Non, le plan Wahlen n’a pas eu beaucoup d’influence. »

Céline : « Non, non. Certains ont essayé un petit peu quand même. »

Théophile : « C’était plutôt dans les grandes fermes du canton de Vaud et en plaine, mais en montagne, moins. »

Vous n’aviez aucune recommandation qui vous venait de la plaine ?

Céline : « Non. »

Vous vous débrouillez par vous-mêmes ?

Céline : « On se débrouillait par nous-mêmes. Il n’y a jamais eu personne… Bon je dis, un moment donné, il y avait Lucien Salamolard et « gros Jean », Jean Fournier qui avaient essayé, ils avaient essayé de planter des arbres, d’amener des arbres. »

Théophile : « Mais ça, c’était les directives de Châteauneuf. Ils accordaient des subsides et ils faisaient des essais pour planter des arbres en montagne, pour voir jusqu’à quelle altitude ça produisait, où il y avait de la chance d’avoir des produits. »

Céline : « Autrement, non, personne ne s’en est occupé. Ils ont commencé un petit peu avec les fraises. Les fraises, ça a pas mal débrouillé les gens du village, mais bon là c’était déjà beaucoup plus tard. Mais de notre temps, on n’avait rien. Tu vois, la route elle s’est construite en 33-36. On n’avait pas de route. On peut dire qu’on était presque coupés du monde. Pour le matériel, c’était tout à traîneau, on menait depuis Sion avec le mulet et puis le traîneau. L’école ici en bas, elle a été construite en 39. »

Mais les gens, ils ne pouvaient jamais faire d’études ?

Théophile : « Eh bien, c’était déjà le moyen financier qui manquait, à moins de vivre au détriment de la société. On pouvait aller à Saint-Maurice et faire avaler qu’on voulait devenir prêtre et là, le collège, il risquait de passer. Comme ça, on payait le moins possible. »[…]

En hiver, vous aviez de la peine à vous chauffer ?

Théophile : « Du bois, on en avait. »

Céline : « Ça n’empêchait pas que les fenêtres étaient gelées. »

Théophile : « Oui, mais là ça venait d’un manque de confort. »

C’est vous qui alliez couper le bois ?

Théophile : « Oui bien sûr et moi j’ai travaillé à faire cette flotte. »

Est-ce que vous aviez des nouvelles de la guerre ?

Céline : « Au village, il n’y avait que ton grand-père, Henri Délèze et Joseph Salamolard qui avaient les radios, mais tout le village venait pour écouter les nouvelles. » […]

Qu’est-ce que vous pensiez de ce qui se passait ?

Théophile : « On était quand même affectés. Il y avait des malheureux. Bon il faut admettre que si on était préservés chez nous, c’est par rapport à la finance. Parce que les pays avoisinants avaient de l’argent chez nous. »

Céline : « Mais on entendait passer ces bombardiers qui allaient vers l’Italie. La nuit, on devait cacher les fenêtres pour pas laisser voir de clarté. »

Il y avait aussi les réfugiés polonais ?

Céline : « Oui, ils travaillaient à la mine. Ils étaient plutôt en plaine. A Veysonnaz, il n’y en avait pas. Mais il y a eu pas mal de Veysonnaz qui ont travaillé à la mine pendant la guerre. »

Vous n’avez donc jamais ressenti de peine particulière ?

Céline : « Non. Et puis je dis, les gens étaient beaucoup plus solidaires. »