aloisA chacun son rythme. Etre paysan c'est être tributaire des humeurs du temps et de la nature.

Texte tiré du livre : Les racines de l'avenir

Les cinquante premières années de ce siècle ont été, pour les habitants de Veysonnaz, dures et pénibles. Bien sûr, on était paysan de père en fils. Etre paysan c'est être tributaire des humeurs du temps et de la nature. Les gens de Veysonnaz suivent le rythme des saisons. Nous voici donc au printemps ; la neige a quitté le village, on l'aperçoit encore dans les mayens, la terre commence à se réchauffer. Depuis mars, les hommes sont descendus aux vignes à Vétroz ou à Ardon pour y accomplir les premiers travaux. Il faut déjà penser aux labours et aux semailles.

Dans les champs, les hommes et les femmes bêchent la terre où, bientôt, on sèmera le blé, l'orge ou ce qu'on aura décidé de planter. Les garçons et les filles sont à l'école tandis que les grands-mères ont la garde des plus petits. La fin avril approche ; c'est la période où se terminent les classes, elles reprendront en novembre.

Tout le mois de mai est consacré au travail des champs. Dans les prés, l'herbe a poussé et on entend çà et là dans le village quelques cloches de vaches qu'on répare. L'époque de la montée aux "mayens" approche. Les "mayens" sont situés à mi-chemin entre le village et l'alpage. Chaque famille possède une grange ou chalet et des pâturages où, pendant trois à quatre semaines, le bétail va monter avant de partir pour l'alpage. Au jour fixé, a lieu la montée aux "mayens". Dès l'aube, les hommes s'affairent autour des cloches qu'ils enduisent de graisse. Les femmes préparent les vêtements et la nourriture qu'il faudra porter là-haut tandis que les enfants confectionnent des bâtons pour frapper la vache ou le veau qui ne voudrait pas avancer.

Toute la famille monte aux "mayens" et emmène avec elle le bétail et les autres animaux domestiques. Ce jour-là, le mulet est mis à rude épreuve. Aux mayens, tout le monde dort dans la pièce unique. Le bétail est en-dessous de cette pièce et le bruit des cloches empêche souvent petits et grands de dormir. Le temps du mayen est un moment de vie sociale intense. Le soir, les jeunes se retrouvent à un endroit précis ; ils décident d'aller déranger une personne qu'ils savent peureuse. D'autres fois, ils se déguisent et vont faire peur à une femme qui arrose pendant la nuit, son falot à la main.

Les enfants n'osent pas sortir après la tombée de la nuit de peur de "rencontrer des morts" ou un esprit qui emporterait on ne sait où toute personne se trouvant sur son passage, c'est la "chenegoude". A la descente du "mayen" le curé avait beaucoup de travail à confesser les gens. Le jour de l'inalpe", chaque famille emmène son bétail à l'alpage : veaux, génisses, vaches et porcs. Faire monter tous ces animaux à la montagne n'est pas aussi facile qu'on pourrait le croire. Les vaches sentent que bientôt elles vont s'affronter dans un combat grandiose, elles sont très excitées et suivent le chemin de l'alpe sans trop de difficultés. Pour les veaux et les porcs, souvent confiés aux bons soins des plus jeunes, il en va tout autrement. Souvent ce petit monde ne veut pas avancer, la pente est raide. Il faut parfois tirer le porc par les oreilles ou le veau par la queue. Tant bien que mal, tous arrivent à l'endroit désigné pour l'alpée. Vers midi, on rassemble le troupeau à un endroit choisi d'avance. Bientôt va commencer le combat de reines. De partout, on voit des gens affluer, se déplacer, pousser des cris car la vache de François a vaincu celle de Jacques. La vache qui n'a pas perdu un seul combat est déclarée reine de la "Combyre" ou de la "Meinaz" (noms de nos deux alpages). Quand les combats sont terminés tout le monde s'éloigne du lieu des affrontements et va se restaurer à l'écart du troupeau pour ne pas être dérangé.

Le temps passe vite. Il faut déjà penser au retour à la maison. En descendant, on passe aux "mayens" pour prendre ce qui doit être redescendu au village.Les enfants sont contents de le revoir ce village, car ils n'y sont pas revenus depuis qu'ils sont montés aux "mayens", tandis que leur père et mère, à tour de rôle, sont descendus travailler les champs ou commencer les foins autour du village. Chaque soir, il fallait remonter pour faire paître le bétail. Tous ces trajets se faisaient à pied et, souvent, sous une chaleur torride.

L'été est la saison des fenaisons. Dès l'aube, on entend le bruit des marteaux sur les faux : ce sont des faucheurs qui affûtent leur instrument pour la journée. Du matin au soir, ils s'en iront faucher leurs prés ; puis ils aident souvent un parent qui a de la peine à terminer de "rentrer un morceau de pré". Les gros travaux se font souvent en communauté : deux ou trois familles se mettent ensemble pour faire les foins, les regains ou récolter la vendange.

Lorsque les foins sont terminés autour du village, les gens "remontent aux mayens" pour faucher l'herbe qui a repoussé après le passage du bétail. En septembre, les troupeaux redescendent de l'alpage. Ils mangeront l'herbe des prés autour du village jusqu'au début du mois de novembre, quand le temps le permet.

Octobre est le mois des vendanges. Il faut descendre jusqu'à Vétroz ou Ardon pour récolter le raisin qu'on met dans des sacs en cuir, en patois "des bosses", qu'on charge sur le mulet et qu'on ramène à la maison, dans le tonneau.

A cette époque, pas question de vendre la vendange à des propriétaires-encaveurs. Tout le raisin récolté est ramené à la maison. Les gens de Veysonnaz possèdent des habitations à Vétroz. Pendant les vendanges ils s'installent dans ces masures et ils ne remontent qu'à la fin de la semaine. De Vétroz à Veysonnaz le chemin est long et pénible, il faut compter deux heures trente de marche. Comme les foins, la vendange est un travail communautaire. Souvent, très tard le soir, on entend le bruit des sabots du mulet sur le chemin, c'est Antoine qui arrive de Vétroz avec sa vendange.

Après la récolte du raisin il faut songer à encaver les derniers légumes qui restent au jardin avant que surviennent le froid et la morte saison. A la Toussaint, les travaux de la campagne sont terminés et on ne sort plus le bétail. Le soir de cette journée, il est de tradition de faire une fête de famille ou entre familles qui ont mélangé leurs troupeaux en automne. Le repas comporte la raclette ou la fondue et on fait griller des châtaignes. C'est l'occasion de déguster le vin nouveau qui est déjà bien fermenté. Au début novembre, les enfants recommencent l'école. Le village est calme, on entend dans les granges le bruit régulier des fléaux qui battent le blé. Vers 1940, certaines personnes descendaient à Pravidondaz (hameau situé à trois-quarts d'heure de marche de Veysonnaz) pour faire moudre le grain et cuire le pain. Ils recevaient des subsides de la Confédération (subsides de mouture). A l'époque il y avait, à Veysonnaz, deux fours à pain et un pressoir communal où l'on venait presser le raisin. Décembre vient mettre un terme à cette ronde des saisons avec son lot de neige et de froid. Les écoliers sont souvent distraits par les blancs flocons qui, peu à peu, recouvrent les prés et les champs. En quelques heures, tout est recouvert d'un blanc manteau qui donne l'impression que tout dort. Jusqu'en 1930, Veysonnaz était relié à la plaine par un chemin muletier, un chemin qui laissait à désirer.

Le lancement du projet de construction d'une route reliant Veysonnaz à la plaine date de 1922. En 1930, le Conseil communal de Veysonnaz décide de construire une route qui relierait Veysonnaz à Sion. Cependant, deux possibilités étaient envisagées : un parcours par les Agettes, un autre passant par Beuson. Les deux partis de familles soutenaient l'un ou l'autre projet : le parti "Délèze" était convaincu de l'utilité de faire passer la route du côté des Agettes tandis que le parti "Fournier" trouvait qu'il était plus judicieux de la faire passer du côté de Beuson. Le parti "Fournier" estimait qu'en construisant la route du côté de Beuson, tous les champs étaient desservis ; d'autre part, l'ensoleillement y était meilleur ce qui aurait fait fondre la neige plus vite au printemps. Le parti "Fournier" constatait aussi que, du côté des Agettes, le terrain était instable.

Le débat sur le projet de construction de la route dure de 1922 à 1930. En définitive, c'est le projet présenté par le parti "Fournier" qui a été retenu, à la suite d'une votation populaire ; la route fut donc construite de Beuson à Veysonnaz. Les travaux ont commencé en novembre 1930. Le premier car postal a atteint Veysonnaz au mois de mars 1943.